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Publié : 24 mai 2004
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La bande dessinée

"Le temps où la bande dessinée était vilipendée par les bons esprits, confisquée par les enseignants et interdite dans les bibliothèques publiques est révolu. Les critiques qui lui étaient adressées naguère vont aujourd’hui à la télévision et aux consoles de jeux, tandis que la bande dessinée en vient à apparaître, aux yeux de certains pédagogues, comme le dernier rempart contre l’analphabétisme."

La mise en place au sein des "Programmes 2002 pour l’école élémentaire" d’une liste d’ouvrages soulève avec encore plus d’acuité la question posée ici par Thierry Groensteen [1] , car derrière ce constat un peu sévère n’est-ce pas le problème de l’utilisation pédagogique qui est posé ? Si aujourd’hui, la légitimité de ce support ne semble plus être remise en cause, force est de constater que la BD reste encore peu lue, voire mal lue en tant qu’œuvre de littérature. Quelle place faut-il donc lui accorder ?

La BD est-elle un genre ?

Si la bande dessinée fonctionne à partir d’un langage qui lui est propre, elle participe au même titre que d’autres supports à des ouvertures culturelles variées tout autant que la littérature, le cinéma ou les arts plastiques. Par principe elle possède la faculté d’aborder, d’utiliser (voire de recycler !) tous les genres narratifs (roman, conte, humour, science fiction etc..) ou d’expression graphique (de la figuration au symbolisme..) avec une grande variété de (couleurs, noir et blanc, photos, collages, images numériques etc..).
La BD touche autant à l’image qu’au texte ; au figuratif qu’à l’abstrait ; au réalisme qu’à la caricature....C’est pourquoi on ne peut parler de genre, mais plutôt d’un moyen d’expression à étudier pour lui même et non comme prétexte pour "parler d’autre chose", au service d’autres domaines. C’est aussi pour ces raisons (et beaucoup d’autres encore !) qu’on trouvera au sein de la production actuelle ( plus de 2500 titres édités en 2003 !) matière à découvrir des qualités littéraires, graphiques ou historiques...pas immédiatement lisibles !
Valoriser ce support c’est à la fois le traiter à égalité avec les autres formes de littérature, et négliger un peu certaines approches souvent "techniciennes" de lecture d’images ou de ses prétendus "codes", afin de mieux en utiliser toutes les ressources de narration aussi originale dans ses formes que dans les thèmes abordés.

Intérêts de la BD à l’école

"Introduire la BD à l’école" a longtemps consisté parfois à demander aux élèves de réaliser eux-même une bande dessinée. Démarche séduisante (souvent associée à des "jeux-concours") mais qui témoigne parfois de la méconnaissance des prescripteurs de ce genre d’activités. Cet exercice difficile et ambitieux repose sur l’impression qu’il s’agit d’un moyen d’expression facile, peu exigeant obéissant à quelques règles de fabrique assez simples (cadres, répartition des bulles etc..). Bien souvent la pauvreté des productions révèle à quel point ce type de projet peut s’avérer élitiste et un peu vain.
Au delà de qualités d’expressions, la bande dessinée fait appel à des capacités d’organisation et de structuration du récit particulièrement exigeantes, qui vont bien au delà des compétences attendues en fin de cycle 3.
On a aussi souvent proposé de remplir des bulles évidées afin "de faire comprendre" le rôle des codes ; reprenant en cela "la pédagogie des morceaux choisis", dont on sait qu’elle n’est pas toujours la plus appropriée pour appréhender une œuvre littéraire. Là encore c’est faire fi de la spécificité de l’œuvre complète et cohérente.
La bande dessinée a besoin d’être lue, (elle est d’abord conçue pour ça !) ce n’est évidemment pas la quantité de texte (voire son absence !) qui en démontrera la qualité. Support culturel associant le texte et l’image, elle invite à des stratégies de lectures originales, transversales, et interactives...
L’aborder comme un art du récit nous semble non seulement légitime mais indispensable pour contribuer à sa véritable reconnaissance comme mode d’expression à part entière. Ce sera aussi l’occasion d’ouvrir des champs plus larges que la littérature classique (travail sur les codes : ellipses, pictogrammes, dialogues, rebonds mais aussi subjectivité des images, des plans, des mises en page, rôle de la couleur...).
Ses aspects spécifiques (dualité texte-image souvent ingénieuse, pratiques narratives originales, présentation sous forme d’album...) en font un support agréable attractif et dans lequel bon nombre d’enfants ont plaisir à plonger ! C’est donc un moyen agréable d’aborder le livre, de "jouer avec" de se l’approprier avec aisance et plaisir ! La BD favorisera des entrées "flexibles et rapides", des "va et vient image-texte", des lectures critiques, renvoyant parfois plus directement vers des supports complémentaires ou contradictoires. etc... Il s’agit donc là d’un puissant levier de motivation à la lecture.
Les meilleures bandes sont celles qui utilisent au mieux l’art du récit. Là aussi on trouvera matière à lire, analyser, ou produire ! Bien souvent la BD touche au langage, l’enrichit et l’accuse d’insuffisance ; procédant tantôt sur l’insuffisance du dessin, tantôt sur la carence du texte, en cela elle invite son lecteur à observer et réfléchir sur la langue et les langages utilisés.
Au delà d’apprentissages techniques parfois fastidieux visant la composition des images ou de plans, on trouvera au sein de nombreux albums des occasions d’ouvertures vers d’autres formes de littérature (mise en réseau.) offrant des parcours approfondis et porteurs de sens. Qu’il s’agisse de lire la couverture ou de décomposer le schéma narratif, de mettre en voix certains dialogues ou de mener recherches en parallèle aux sujets abordés, exploiter la BD comme œuvre à part entière, (tant dans sa spécificité que dans ses prolongements interdisciplinaires) reste un des outil intéressant pour atteindre ces compétences.

Il est donc particulièrement réjouissant de constater que les treize albums sélectionnés de la liste littérature Cycle3 répondent avantageusement à notre questionnement. En effet on trouvera au côté d’auteurs confirmés de jeunes dessinateurs déjà remarquables ( de Fred à Trondheim), mais aussi une grande diversité des genres et des styles faisant écho à la variété des traitements graphiques (du noir et blanc à des utilisations de couleur quasi-impressionniste....) sans oublier des approches littéraires différenciées (du récit policier à l’adaptation de conte, en passant par la fable animalière). La BD ne connaît donc pas de forme "unique" mais multiples, variées, parfois surprenantes ! Finalement, l’intérêt principal de cette liste n’est-il pas de présenter un reflet assez proche de ce qu’elle représente aujourd’hui comme littérature à part entière ?

Patrice Gentilhomme

"Lire et écrire : La BD à l’école" CDDP Indre et Loire
Comité BD Quinzaine du Livre FOL 37
Séminaire "Enseigner la BD" CRDP Poitou-Charentes Juin 2003

Notes

[1Docteur en lettres modernes, éditeur et théoricien reconnu de la Bande Dessinée, Thierry Groesnsteen a été le directeur du musée de la Bande dessinée d’Angoulême , il en dirige la revue "9ème Art" et les Editions de l’an 2.